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Investir dans les terres agricoles peut constituer une protection efficace contre l’inflation et la baisse des prix

Par Shoaib Baig, CFA CAIA - Principal, Investment and Risk Consulting, TELUS Santé

Les défis pour les investisseurs au sortir de la pandémie

Au début de la pandémie de COVID-19, les banques centrales du monde entier ont entamé une ère d’assouplissement monétaire qui s’est soldée par une inflation record au milieu de l’année 2022. En réponse à la hausse de l’inflation, les banques centrales ont alors commencé à augmenter les taux d’intérêt à un rythme sans précédent. Alors que s’amorce le quatrième trimestre de 2023, les taux d’intérêt sont à leur plus haut niveau depuis plusieurs décennies, et de nouvelles hausses sont toujours possibles.

Compte tenu des conditions du marché et des enjeux en matière d’investissement des dernières années, les investisseurs sont à la recherche d’une classe d’actifs capable de générer un excellent rendement avec une faible volatilité, d’offrir une bonne protection contre l’inflation et de faire preuve de résilience en cas de crise du marché. Investir dans les terres agricoles pourrait être la solution.

Investir dans les terres agricoles : une solution attrayante aux enjeux actuels

L’investissement dans les terres agricoles est intuitif. Les terres agricoles produisent de la nourriture! Elles ne sont pas étroitement liées au cycle économique général. Par conséquent, elles offrent des possibilités de diversification lorsque d’autres investissements, comme les actions et les obligations, sont soumis à des tensions. En raison de leur rôle essentiel, les terres agricoles de grande qualité ont été, et continueront d’être, un bon investissement à long terme.

L’augmentation de la demande alimentaire due à l’accroissement de la population mondiale et la diminution de la superficie totale des terres arables disponibles pour l’agriculture sont deux tendances qui plaident en faveur des investissements dans les terres agricoles. Au cours des 20 dernières années aux États-Unis, plus de 11 millions d’acres de terres agricoles ont été perdus au profit de projets immobiliers et d’autres utilisations commerciales, selon l’American Farmland Trust. De même, selon Statistique Canada, le Canada a perdu 4 % de ses terres agricoles exploitées depuis 2011. La tendance est la même dans presque tous les pays du monde.    

En règle générale, les investissements dans les terres agricoles sont en corrélation négative avec les marchés boursiers et en corrélation positive avec l’indice des prix à la consommation (IPC). Les investissements dans les terres agricoles offrent également de multiples sources de revenus aux investisseurs. 

Rendement financier

Le rendement financier est principalement le résultat de la vente de produits agricoles et peut être augmenté notamment grâce à des revenus non agricoles, tels que la location de tours cellulaires, d’éoliennes et de panneaux solaires, et la vente de crédits carbone. Dans le cas des terres agricoles louées, le revenu de location peut contribuer de manière stable et fiable au rendement total, même lorsque les marchés boursiers sont soumis à des tensions. 

Plus-value en capital

La plus-value en capital provient de l’augmentation de la valeur des terres au fil du temps, engendrée par une demande grandissante pour des investissements en actifs réels, un rendement accru des cultures grâce aux avancées technologiques, et une meilleure gestion opérationnelle des propriétés.

Avantages de considérer les terres agricoles comme des actifs investis

1. Projection relative à l’inflation

L’inflation a eu un impact à la fois sur les prix des intrants agricoles et les prix des produits de base, quoique ces derniers aient été touchés plus durement. L’augmentation des revenus des terres agricoles et le nombre limité de terres agricoles ont entraîné une hausse de la valeur des terres agricoles dans la plupart des régions agricoles. Au Canada, selon le rapport Valeur des terres agricoles 2022 de FAC, la valeur des terres arables a augmenté de 12,8 % en 2022 (contre 8,3 % en 2021). 

Les terres agricoles affichent une corrélation positive avec l’IPC depuis 30 ans, avec un score de 0,17. Cette corrélation a atteint un score impressionnant de 0,97 pendant la période inflationniste de 2020-2022 (NASDAQ), ce qui montre que les terres agricoles constituent une excellente protection contre l’inflation pour les portefeuilles.

2. Diversification et protection contre le risque de ralentissement en période de récession

Même si les terres agricoles suivent des cycles comme les autres classes d’actifs, elles offrent une protection contre le risque de ralentissement, car elles ne sont pas liées au cycle économique – elles se concentrent sur la production de nécessités de subsistance dont la demande est très stable. 

3. Antécédents de rendement élevé et de faible volatilité 

Entre 1992 et 2022, les terres agricoles ont enregistré des rendements moyens plus élevés (10,71 % – NCREIF Farmland Index) que les actions américaines (9,58 % – indice de rendement global du S&P 500) et que les obligations américaines (4,62 % – Bloomberg Barclays US Aggregate Index). L’écart type des rendements annuels moyens des terres agricoles américaines au cours de la même période était de 6,64 % (NCREIF Farmland Index), contre 17,80 % pour les actions américaines durant cette même période. La faible volatilité des terres agricoles peut se révéler être un atout particulièrement important en période d’incertitude financière. 

Obstacles aux investissements dans les terres agricoles 

Critères de sélection

Les investissements dans les terres agricoles font partie de la classe d’actifs non traditionnels et sont généralement considérés comme étant des actifs réels. L’expérience et la connaissance de cette stratégie spécialisée sont primordiales pour assurer une saine gestion des risques.

Principales modalités 

                                                        Stratégies relatives aux terres agricoles

Bail au comptant 

Bail fondé sur un montant fixe par acre

Bail flexible 

Montant de location moins élevé + part des revenus des récoltes

Bail à métayage

Le propriétaire et l’agriculteur partagent le coût des intrants et les revenus des récoltes.

Agriculture à forfait

L’agriculteur assure l’ensemble des opérations de machinerie sur les terres du propriétaire en échange d’une redevance ou d’un taux déterminé.

Exploitation agricole directe

Le propriétaire exploite directement la propriété et fournit la machinerie, le personnel et les intrants agricoles.

                                                                Type de cultures

Cultures en rangs

Cultures annuelles, comme le maïs, le soya, le coton, le blé et le riz

Cultures permanentes

Cultures continues, comme les fruits et les noix


Investir dans les terres agricoles comporte plusieurs risques, tels que la volatilité des prix des matières premières, la baisse des volumes de récolte (en raison d’incendies, de maladies ou d’insectes nuisibles), la disponibilité de l’eau, les conditions météorologiques défavorables, les changements climatiques et les risques géopolitiques. L’emploi de techniques et technologies agricoles modernes peut permettre d’atténuer certains des risques liés aux conditions météorologiques défavorables et aux changements climatiques. Le risque de crédit associé aux différents modèles de bail peut être atténué grâce à une diligence raisonnable, à une surveillance continue des fermiers locataires et au respect des clauses du bail. Les investisseurs voudront trouver des fonds offrant un niveau adéquat de diversification entre les régions agricoles, les cultures, les modèles d’exploitation et les agriculteurs.

Frais de gestion des investissements dans les terres agricoles

Bien que les frais de gestion des investissements, les coûts d’exploitation et les commissions de performance facturés par les fonds puissent varier considérablement (certains fonds facturent même des frais de gestion agricole par acre ou des frais d’acquisition uniques), le coût d’investissement annuel des fonds de terres agricoles en Amérique du Nord examiné par notre équipe se situe entre 1,8 % et 4 %. Toutefois, il existe plusieurs fonds de terres agricoles attrayants dont les frais annuels sont inférieurs à 2 %. 

Les frais facturés par les gestionnaires de terres agricoles sont plus élevés, car il s’agit d’actifs physiques et d’une activité commerciale très locale qui nécessitent des connaissances spécialisées et une présence dans la région, une compréhension des conditions agricoles locales, et de solides relations avec la collectivité afin de générer un flux de transactions de qualité sans trop dépendre des ventes aux enchères de terres agricoles (habituellement, les ventes aux enchères ne sont pas la meilleure solution permettant d’acquérir une exploitation agricole à bon prix). En outre, les meilleurs gestionnaires possèdent d’excellentes compétences en matière de surveillance et de diligence raisonnable, ce qui nécessite souvent de faire appel à des experts indépendants pour l’analyse des sols et des eaux, la lutte antiparasitaire, etc. 

Si l’on se penche sur l’intégration des facteurs ESG par les gestionnaires de terres agricoles, on constate que leur approche vis-à-vis de l’adoption du processus de recherche et développement et de l’utilisation de la technologie et de pratiques agricoles respectueuses de l’environnement pour réduire l’empreinte carbone, la consommation d’eau et les procédés agricoles est primordiale au succès à long terme de tout gestionnaire de terres agricoles.

Risque de liquidité 

Tout comme d’autres classes d’actifs non traditionnels, l’univers des fonds de terres agricoles comprend à la fois des fonds fermés et des fonds ouverts. Cependant, la plupart des fonds ouverts sont assortis de périodes d’immobilisation initiales allant d’un à cinq ans et de pénalités en cas de rachat avant cinq à huit années d’investissement. Ces modalités visent à décourager le roulement des investisseurs, à minimiser les perturbations pour les investisseurs restants du fonds et à éliminer le besoin de vendre les exploitations afin de générer des liquidités pour le remboursement. Les investisseurs devraient évaluer soigneusement leur profil de liquidité avant d’ajouter des terres agricoles à leur portefeuille, en particulier s’ils disposent déjà d’une part importante d’autres classes d’actifs non liquides, comme l’immobilier, le capital-investissement et les infrastructures. 

Autres facteurs de risque 

Investir dans les terres agricoles comporte des facteurs de risque additionnels qui doivent être pris en compte dans la tolérance au risque des investisseurs. Les risques liés aux catastrophes naturelles pouvant avoir un impact sur le rendement des cultures, les pénuries d’eau et les restrictions concernant l’utilisation de l’eau, les futures politiques gouvernementales et les risques politiques, entre autres, sont autant de risques pouvant avoir une grande incidence sur la viabilité d’une stratégie relative aux terres agricoles. Voilà pourquoi, comme avec toutes les stratégies d’investissement, il est important de procéder à une vérification préalable rigoureuse des gestionnaires, d’assurer une surveillance continue, et de bien connaître cette catégorie d’actifs afin de cerner les meilleurs gestionnaires en fonction de la tolérance au risque de l’investisseur.

Régimes de retraite canadiens et terres agricoles

La répartition des terres agricoles dans les portefeuilles des régimes de retraite revêt un rôle différent. Certains y voient l’achat d’un actif actualisé présentant un fort potentiel de croissance à long terme, tandis que d’autres perçoivent les terres agricoles comme un actif de couverture du passif, parce qu’elles sont comparables aux obligations indexées sur l’inflation. Cela dépend de la stratégie d’investissement du régime, à savoir si le régime a investi dans une stratégie d’achat et de location de terres agricoles (couverture du passif) ou dans une stratégie d’achat et d’exploitation (potentiel de risque et de rendement plus élevé). 

Conclusion

Dans la conjoncture du marché, caractérisée par des taux d’intérêt élevés, une forte inflation et une menace imminente de récession, investir dans les terres agricoles présente des avantages attrayants, tels que le potentiel de rendement élevé, une faible volatilité, et une résilience en période de tensions sur le marché. Toutefois, ces avantages s’accompagnent d’une absence de liquidités au cours des cinq premières années d’investissement et de frais de gestion plus élevés que pour d’autres types d’actifs réels. Lorsqu’ils investissent dans des terres agricoles, les investisseurs doivent tenir compte du rôle que celles-ci sont censées jouer dans le portefeuille, des besoins en liquidités, de l’horizon de placement et de la tolérance au risque. 



Références bibliographiques

Rapport Valeur des terres agricoles 2022, FAC

https://www.fcc-fac.ca/fr/savoir/services-economiques/rapport-valeur-des-terres-agricoles-2022.html

2020 Annual Report, American Farmland Trust [en anglais seulement]

https://farmland.org/wp-content/uploads/2021/07/AFT-Annual-Report-2020.pdf

Rooted In Stability: How Farmland Investments Have Outperformed in Uncertain Economic Climates, Kenneth Adams, rédacteur de Benzinga, le 14 avril 2023 [en anglais seulement]

https://www.benzinga.com/real-estate/23/04/31807178/rooted-in-stability-how-farmland-investments-have-outperformed-in-uncertain-economic-climates

The Reasons Why Wealthy Investors Consistently Turn to Farmland Investments, le 2 mai [en anglais seulement] https://www.nasdaq.com/articles/the-reasons-why-wealthy-investors-consistently-turn-to-farmland-investments

A look at the role of farmland in pension portfolios, Benefits Canada, le 3 juin 2019 [en anglais seulement] https://www.benefitscanada.com/canadian-investment-review/alts/a-look-at-the-role-of-farmland-in-pension-portfolios/

Statistique Canada https://www150.statcan.gc.ca/n1/daily-quotidien/230622/dq230622c-fra.htm

Shoaib Baig, CFA CAIA - Principal, Investment and Risk Consulting, TELUS Santé

Basé à Ottawa, Shoaib dirige l'équipe Atlantic Investment and Risk Consulting chez Telus Health.  Dans le cadre de ses fonctions actuelles, il conseille les clients institutionnels sur tous les aspects de la gestion des investissements et des risques : politique d'investissement, études de gestion actif-passif, sélection des gestionnaires d'investissement, mesure de la performance des gestionnaires et investissements ESG. Shoaib est spécialisé dans la recherche de gestionnaires d'investissement dans les classes d'actifs Farmland, Commercial Mortgages et Private Equity. 

Shoaib a plus de 15 ans d'expérience dans l'industrie. Shoaib a commencé sa carrière en tant que banquier d'entreprise, spécialisé dans l'analyse du risque de crédit des emprunteurs entreprises et PME. Avant de rejoindre Telus Health, il a occupé divers postes dans des institutions financières, notamment au sein d'un fonds de garantie de crédit destiné aux PME en Allemagne. 

Shoaib est titulaire d'une licence en banque et finance de l'université de Londres (LSE), d'un LLM (Financial Services Law) de l'université de Londres (Queen Mary & UCL) et d'un master en politique publique de la Hertie School of Governance de Berlin.  Il est également titulaire des titres de Chartered Financial Analyst (CFA) et de Chartered Alternative Investment Analyst (CAIA).