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En quoi la COVID 19 a-t-elle eu une incidence sur la longévité des retraités d’un régime canadien à prestations déterminées?

Par Richard Brown, chef de l’exploitation, Club Vita Canada

La COVID‑19 a rapidement et fondamentalement perturbé plusieurs aspects de nos vies. Pour quelqu’un qui travaille dans le domaine relativement spécialisé de l’analyse de la longévité, de constater que les médias grand public accordaient tout d’un coup et si rapidement une telle importance aux discussions portant sur les décès et la mortalité était à la fois un peu étrange et surréaliste. Si, d’une part, l’ensemble des informations concernant les cas de COVID‑19, les hospitalisations et les décès liés à cette pandémie ont contribué à quantifier ce qui se passait, d’autre part, la situation a attiré l’attention sur le caractère insuffisant des données et des outils nécessaires pour brosser un tableau complet de la situation.

Traditionnellement, quelques années (voire plusieurs années) s’écoulent entre le moment où les données les plus récentes deviennent disponibles aux fins de la réalisation d’analyses de longévité et le moment où les résultats de telles analyses sont publiés, compte tenu du temps nécessaire pour compiler, valider et analyser ces données sur la longévité. Cela signifie donc que, pour une grande partie de l’année 2020, nous ne disposions pas d’une image précise de l’incidence qu’avait la COVID‑19 sur la situation de la mortalité canadienne dans son ensemble. Si nous savions qu’un nombre considérable de décès était imputable à la COVID‑19, nous ne savions pas précisément quel effet celle-ci avait sur la mortalité dans son ensemble, du fait d’une pénurie de données à jour sur les décès au Canada. Aujourd’hui, 18 mois après que la pandémie eut atteint le Canada, nous avons une idée beaucoup plus précise de l’impact qu’a eu la COVID‑19 sur la longévité jusqu’à présent (en anglais) au Canada, en plus d’être plus apte, en maintenant un niveau d’imprécision, à nous pencher sur ce que la pandémie pourrait signifier sur le plan de la longévité future (en anglais).

Incidence de la COVID‑19 sur la mortalité canadienne jusqu’à présent

Le diagramme qui suit montre comment le nombre hebdomadaire canadien total de décès s’est comparé, en 2020 et 2021, avec le nombre de décès attendu[1], la portion plus sombre de chacune des barres correspondant aux décès attribuables à la COVID‑19[2]. Une situation de surmortalité survient lorsque les barres dépassent le niveau attendu des décès. En 2020, le total hebdomadaire des décès a dépassé le nombre de décès attendu de 6,8 %, les décès imputables à la COVID‑19 représentant une grande partie (à hauteur d’environ 75 %), mais non la totalité de la surmortalité survenue en 2020. L’augmentation du nombre de décès canadiens observée en 2020 est nettement plus élevée qu’au cours de n’importe quelle autre des 75 années précédentes[3], bien qu’elle soit nettement moins élevée que celle qui a été observée aux États-Unis et au Royaume-Uni en 2020. Par opposition, les décès canadiens survenus en 2021, en date de la fin mai (date pour laquelle les données les plus récentes étaient disponibles au moment de la rédaction du présent article pour la majorité des provinces), n’ont dépassé les décès attendus que de 3,9 %. Bien que l’année 2021 ait débuté alors que la deuxième vague des infections et des décès imputables à la COVID‑19 frappait le plus durement au Canada, nous pouvons constater, à la lecture du diagramme qui suit, que les décès non attribuables à la COVID‑19 ont été nettement inférieurs à ce qui avait été prévu, ce qui a quelque peu atténué l’incidence de la COVID‑19 sur le nombre total de décès.


Notes : Les résultats illustrés excluent les décès survenus au Manitoba en 2021 du fait que les données réelles et attendues relatives au nombre total de décès n’étaient pas disponibles.

Si le diagramme qui précède présente les résultats pour le Canada dans son ensemble, l’impact de la COVID‑19 sur la mortalité au cours des années 2020 et 2021 a beaucoup varié d’une province à l’autre. En 2020, le Québec a connu la plus forte surmortalité, avec une hausse de 12,5 % sur les niveaux prévus (par rapport à 6,8 % dans le cas du Canada), cette province étant suivie de l’Alberta, à 8,1 %. Depuis le début de 2021 (encore une fois, jusqu’au 22 mai 2021), la Saskatchewan a connu un nombre de décès supérieur de 12,5 % au niveau attendu, suivi de l’Alberta à 9,2 %, ces deux provinces présentant des résultats nettement plus élevés que la moyenne de 3,9 % pour le Canada (et le Québec, à 1,5 %). La plus importante province du Canada, l’Ontario, a observé des décès plus élevés de 5,2 % et de 3,7 % que ce qui avait été attendu en 2020 et 2021, jusqu’au 22 mai, respectivement.

Le tableau qui suit recense les facteurs clés qui ont eu une incidence sur la modification de la mortalité canadienne au cours de la période de la pandémie, outre l’effet direct des infections à la COVID‑19. 

Vaccinations contre la COVID‑19

La campagne de vaccination contre la COVID‑19 en 2021 a appuyé la réduction de la propagation de la maladie et a considérablement réduit les risques de résultats graves, dont le décès.

Augmentation des décès imputables à une surdose

Malgré le fait que les décès imputables à la COVID‑19 aient principalement affligé les personnes les plus âgées (c.‑à‑d. de 80 ans et plus), les cohortes plus jeunes ont connu les hausses les plus marquées du nombre de décès en 2020. En fait, le nombre de décès survenus en 2020 a été plus élevé de 21,3 % que ce qui avait été prévu dans le cas des personnes de moins de 45 ans, plus élevé de 9,9 % dans le cas des personnes âgées de 45 à 64 ans et de 5,6 % dans le cas des personnes âgées de 65 ans et plus[4]. Une forte augmentation du nombre de décès imputables à une surdose a constitué un facteur clé expliquant les fortes augmentations de mortalité en 2020 dans le cas des Canadiens plus jeunes[5].

Saison de la grippe exceptionnellement calme

Comme on pouvait s’y attendre, les multiples restrictions mises en place pour ralentir la propagation de la COVID‑19 ont également atténué la saison de la grippe 2020-2021, ce qui aura vraisemblablement contribué au fait que les décès non attribuables à la COVID‑19 ont été nettement inférieurs aux niveaux attendus au cours des premiers mois de 2021. 

Report des interventions et des traitements médicaux

Bien que le report des interventions médicales et les retards dans la prestation de traitements médicaux auprès de certains individus ait indiscutablement constitué un facteur négatif clé sur la santé tout au long de la pandémie, il demeure difficile d’évaluer quelle a été la véritable nature de cet impact jusqu’à présent.


Les retraités des régimes à prestations déterminées ont-ils été protégés de la COVID‑19?

Toutes les statistiques présentées jusqu’à présent se fondent sur la population canadienne dans son ensemble. Cependant, les participants aux régimes de retraite à prestations déterminées (PD) forment un sous-groupe unique de la population. Une question clé que se posent les promoteurs de régimes de retraite à PD est donc la suivante : en quoi la COVID‑19 a-t-elle eu une incidence sur la mortalité des retraités des régimes à PD? Le diagramme qui suit présente une analyse de la façon dont se comparent les décès mensuels des retraités des régimes à PD en 2020, sur la base des données préliminaires de Club Vita touchant les retraités des régimes de retraite (incluant les conjoints survivants) résidant en Ontario, aux données des cinq années précédentes. La ligne de couleur verte présente une tendance ajustée en fonction des saisons pour ce qui concerne les décès survenus entre 2015 et 2019, ces données étant extrapolées en 2020. Nous constatons que sont survenues une hausse marquée des décès, au-delà de ce que prévoyaient les tendances, en avril 2020, ainsi que des augmentations moins prononcées en mai et décembre 2020. Pour l’ensemble de 2020, le nombre de décès de retraités des régimes à PD de l’Ontario, tel qu’établi par Club Vita, a été plus élevé de 3,2 % que ce qui était prévu selon la tendance 2015-2019. Par opposition, Club Vita estime que les statistiques correspondantes visant la population de l’Ontario âgée de 65 ans et plus se situent à 4,7 %, ce qui laisse entrevoir le fait que la population ontarienne en général a connu une augmentation relative plus élevée en termes de décès par rapport à 2020 que celle qui a caractérisé les retraités des régimes à PD.


L’analyse qui précède porte principalement sur les retraités des régimes à PD de l’Ontario, puisqu’ils représentaient le groupe provincial le plus important au sein du fichier de données canadiennes de Club Vita. On a retenu une province en particulier, au vu des différences importantes quant à l’impact de la COVID‑19 sur la mortalité d’une province à l’autre en 2020. On estime que l’augmentation relative moindre du nombre de décès ayant affligé les retraités des régimes à PD de l’Ontario est imputable aux différences entre le profil géographique et socioéconomique des retraités des régimes à PD et celui de la population en général. 

Répercussions potentielles sur la longévité future de la COVID‑19 sur les régimes de retraite à PD 

Bien que l’augmentation du nombre de décès imputables à la COVID‑19 ait été importante, il est vraisemblable que, considéré de manière isolée, l’impact jusqu’à présent de la mortalité accrue sur le passif des régimes de retraite à PD soit relativement limité. C’est ce qui surviendra au cours des prochaines années qui pourrait véritablement avoir une incidence sur les obligations des régimes de retraite à PD et telle est la raison pour laquelle, en mars 2021, Club Vita a publié une série de scénarios en matière de longévité future (en anglais) élaborés en tenant compte des différentes évolutions possibles de la pandémie. Les scénarios comportent deux cas de figure extrêmes (Recul des soins de santé et Innovation dans l’adversité), et deux cas de figure plus centraux (Incident de parcours et Long processus de rétablissement). Les scénarios quant à la longévité future liée à la COVID‑19 sont résumés ci-après : 

Incident de parcours 

Long processus de rétablissement

Déclin des soins de santé

Innovation dans l'adversité

  •  Un programme d’administration efficace des vaccins se traduit par un rétablissement rapide suite à la pandémie.

  • Une hausse marquée des décès en 2020 et 2021 est suivie d’une période au cours de laquelle les décès retrouvent, dans une large mesure, la trajectoire qui était la leur avant la pandémie, malgré les deux années d’amélioration de la longévité qui ont été perdues.
  • Les difficultés liées à l’efficacité des vaccins et aux taux de vaccination font en sorte que la pandémie a un effet prolongé.

  • La surmortalité liée à la COVID‑19 se perpétue pendant toute la première moitié de la décennie 2020.

  • Une perturbation à plus long terme des services médicaux non liés à la COVID‑19 se traduit par de faibles niveaux d’amélioration au cours des décennies 2020 et 2030.

  • Les groupes socioéconomiques les moins favorisés sont les plus durement touchés.
  • L’optimisme initial que suscitaient les vaccins s’avère non fondé – la publicité négative limite les taux de vaccination et de nouvelles mutations limitent l’efficacité des vaccins.

  • Vagues persistantes de mortalité liée à la COVID‑19 tout au long de la décennie 2020.

  • Les systèmes de soins de santé sont débordés par chaque vague.

  • Perturbations massives des traitements médicaux non liés à la COVID‑19, sans périodes de rattrapage possibles.
  • La mise en œuvre efficace des vaccins se traduit par un rétablissement rapide suite à la pandémie.

  • Une période de reprise économique « en forme de V » permet de rattraper les années d’amélioration perdues.

  • Les enseignements tirés font office de catalyseur d’améliorations à plus long terme – directement du point de vue des progrès médicaux et indirectement en ce qui concerne les efforts qui visent à intervenir auprès des inégalités en matière de santé.


Les scénarios ont été élaborés autour de quatre déterminants clés, le tableau suivant répertoriant un certain nombre de commentaires sur chacun d’eux, en tenant compte de ce que l’expérience vécue au cours des six derniers mois pourrait signifier pour chacun d’entre eux.

Déterminants clés

Répercussions potentielles de l’évolution du déterminant clé au cours des six derniers mois

Augmentation immédiate du nombre de décès imputables à COVID‑19

Après un début plutôt lent, le Canada est devenu un leader dans le domaine des taux de vaccination, les vaccins étant extrêmement efficaces. Grâce au succès qu’ont connu les vaccins contre la COVID‑19, la surmortalité en 2021 au Canada (dans son ensemble) laisse actuellement entrevoir le fait qu’elle puisse être modérément inférieure à ce qui avait été prévu à l’origine dans les scénarios sur la longévité future de Club Vita. Cependant, cette réalité varie considérablement d’une province à l’autre et pose toujours un risque que les décès imputables à la COVID‑19 augmentent au cours des mois d’automne et d’hiver, alors que l’on a déjà observé une augmentation inquiétante du nombre de décès imputables à la COVID‑19 en Alberta à la fin août et au cours du mois de septembre.

 

La COVID-19 semble se diriger vers un état endémique, mais on ne sait pas à quel moment cela pourrait être atteint. Cependant, si de nouveaux variants continuent de poser des problèmes et/ou si l'efficacité des vaccins diminue, cela pourrait entraîner la persistance de niveaux élevés de mortalité.

Perturbation des soins médicaux non liés à la COVID‑19

Il est encore beaucoup trop tôt pour connaître l'impact total de la pandémie sur les soins non liés au COVID-19, tant en termes d'implications de ce qui s'est passé jusqu'à présent que de la manière dont les perturbations pourraient se poursuivre à l'avenir. Cependant, malgré les progrès réalisés dans la lutte contre le COVID-19, les systèmes de santé continuent d'être mis à rude épreuve, l'épuisement des professionnels de la santé étant un problème grave. En outre, la possibilité d'une augmentation des cas et des hospitalisations à l'approche des mois d'hiver pose le risque de perturbations continues des soins.

 

Nous savons que l'accent mis sur le traitement du COVID-19 a détourné l'attention de certains autres traitements, les recherches émergentes sur les principales causes de décès telles que le cancer et les maladies cardiaques permettant de mieux quantifier les implications de la pandémie sur la longévité future.

Modifications des systèmes de santé et de soins

La pandémie a suscité une série de promesses concernant l’amélioration des systèmes de santé et de soins, tout particulièrement au chapitre des soins de longue durée. Le fait que ces promesses se concrétiseront ou non, et l’impact qu’elles pourraient avoir, demeurent une source d’incertitude relativement prononcée.

 

Le système de soins de santé se bute à un certain nombre de vents contraires, comme l’explosion des coûts, des difficultés sur le plan de la main-d’œuvre et la hausse constante des besoins en matière de soins de santé du fait de la COVID‑19, y compris en ce qui concerne la COVID de longue durée[7]. Cependant, les promesses d’ordre politique font parties des nombreux vents favorables éventuels, au rang desquels figurent l’adhésion rapide à la télémédecine et d’autres progrès technologiques et médicaux, y compris en ce qui concerne la technologie de l’ARNm[8].

Récession mondiale

Jusqu’à présent, l’économie canadienne a affiché une assez bonne résilience. Le produit intérieur brut (PIB) réel a augmenté respectivement de 9,1 %, 2,2 % et 1,4 % aux cours des T3 2020, T4 2020 et T1 2021 respectivement[9], ce qui a largement compensé le recul de 11,3 % survenu au cours du T2 2020. Une observation similaire est notée chez le plus important partenaire commercial du Canada, les États-Unis. Si ces résultats ne constituent pas une garantie d’une économie résiliente à long terme, les indicateurs actuels sont positifs.

À l’heure actuelle, il semblerait que les scénarios les pires concernant la COVID‑19 ne soient pas en voie de se matérialiser. Cependant, il y a encore fort à faire avant que nous puissions apprécier pleinement les contrecoups de la pandémie sur la longévité, tant au sein de la population en général que pour des sous-populations uniques, comme les participants à des régimes de retraite à PD spécifiques. Il demeure aussi important que jamais de suivre les nouvelles données afin de percevoir les premiers signaux.



Richard Brown, FICA, FSA, CFA , chef de l’exploitation, Club Vita Canada

Richard supervise la modélisation et les études sur la longévité de Club Vita Canada ainsi que ses activités opérationnelles globales d’analyses de longévité. Il collabore étroitement avec ses collègues au Royaume-Uni et aux États-Unis sur les études internationales sur la longévité et d’autres études internationales de Club Vita.

Auparavant, Richard a passé plus de 10 ans dans l’offre de services-conseils en stratégies d’investissement et en stratégies de gestion globale des risques axée sur l’analyse, la conception et la mise en œuvre de stratégies liées aux régimes de retraite.

Richard contribue régulièrement au leadership éclairé en matière de longévité au Canada en rédigeant des articles, en intervenant lors de conférences et en participant aux initiatives sur la longévité de l’Institut canadien des actuaires.

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