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Quelle est la relation entre la littératie financière et la planification de la retraite au Canada ?

Par Colin Busby, directeur des politiques et de la sensibilisation à l'Institut de l'épargne-retraite de HEC Montréal, David Boisclair, directeur général de l'Institut de l'épargne-retraite et Philippe d'Astous, professeur associé et directeur du Laboratoire d'éducation financière, HEC Montréal.

Le manque de littératie financière est un problème majeur qui touche à la fois la vie quotidienne et l'élaboration des politiques au Canada. Il s'agit d'une préoccupation majeure pour les organismes de réglementation financière, les créanciers, les administrateurs de régimes de retraite, les employeurs et les prestataires de services publics. Après tout, une bonne base en littératie financière peut aider les individus à éviter de trop s'endetter, à prendre de bonnes décisions en matière d'épargne pour les achats importants et les situations d'urgence, à gérer un budget et à élaborer des plans de retraite financière raisonnables. Un manque de littératie financière peut conduire à des décisions financières aux conséquences indésirables et, à l'extrême, à des catastrophes financières. Étant donné que la plupart des Canadiens dépendent des retraites professionnelles et de l'épargne privée volontaire pour maintenir leur niveau de vie à la retraite, l'éducation financière semble être un ingrédient essentiel au bon fonctionnement du système de revenu de retraite du Canada.

Une récente étude universitaire tente de mieux comprendre la relation entre la littératie financière et les décisions de retraite. À l'aide d'un ensemble de données datant de début 2023 et mesurant les connaissances des Canadiens d'âge moyen sur leur système de revenu de retraite, la recherche examine les résultats de la littératie financière au Canada et leur lien avec la connaissance du système de revenu de retraite. Les résultats globaux en matière de littératie financière sont préoccupants. Les personnes qui obtiennent des résultats plus élevés en matière de littératie financière ont tendance à en savoir plus sur notre système de retraite et sont également plus susceptibles d'avoir un plan de retraite. D'autres pays sont également confrontés à des difficultés en matière de littératie financière, et le Canada, comparé à ses pairs, se situe en milieu de peloton en ce qui concerne la moyenne des sujets abordés. Néanmoins, il y a des raisons pour lesquelles les décideurs canadiens devraient s'efforcer d'améliorer la littératie et pour lesquelles ces efforts sont essentiels pour prendre de bonnes décisions financières en vue de la retraite.  

L'indice de l'Institut de la retraite et l'épargne (IRE)

En 2023, l'enquête annuelle sur l'indice IRE a sollicité les réponses de plus de 3 000 Canadiens âgés de 35 à 54 ans à des questions concernant les connaissances financières générales (6 questions) et les programmes de retraite canadiens. Les connaissances financières générales comprennent les "trois grandes questions" largement utilisées dans la littérature et les enquêtes du monde entier. Il s'agit de questions relatives aux bases de la littératie financière en ce qui concerne l'inflation, le rôle des taux d'intérêt et l'importance de la diversification des risques. En outre, l'enquête pose 26 questions relatives à la connaissance des options d'épargne à l'abri de l'impôt (REER et CELI), des régimes d'employeur, du Régime de pensions du Canada et du Régime de rentes du Québec (RPC/RRQ), et des programmes de la Sécurité de la vieillesse (SV) et du Supplément de revenu garanti (SRG). 

Les résultats des Canadiens

Les résultats montrent que les scores des Canadiens en matière de littératie financière en 2023 sont conformes à ceux des autres pays industrialisés. Ils sont également stables dans le temps et, contrairement aux "grandes économies avancées", les intérêts composés sont le concept le mieux compris (81 % de réponses correctes), tandis que la diversification des risques est la moins bien comprise (63 % de réponses correctes). 70 % des personnes interrogées ont pu répondre correctement à une question de base sur le concept d'inflation. Et dans l'ensemble, seuls 48 % des personnes interrogées ont répondu correctement aux trois questions.

Certains groupes de la population obtiennent de meilleurs résultats que d'autres. Par exemple, en moyenne, les hommes obtiennent de meilleurs résultats que les femmes, tandis que les personnes n'ayant pas terminé leurs études secondaires, ainsi que les chômeurs, obtiennent de moins bons résultats. Les personnes qui bénéficient d'un régime de pension de l'employeur ont tendance à faire mieux que la moyenne. En outre, il n'y a pas de différences régionales flagrantes, même si les provinces de l'Atlantique semblent s'en sortir un peu moins bien que la moyenne pour la plupart des mesures, à l'exception de l'inflation.

Après cinq ans d'enquête, nous avons voulu savoir si la connaissance de l'inflation par les Canadiens avait évolué en raison de la hausse de l'inflation après la pandémie. Au cours des trente années qui se sont écoulées depuis que la Banque du Canada a adopté un objectif d'inflation, le taux d'inflation annuel s'est toujours situé aux alentours de 2 %. Cependant, en 2021 et en 2022, l'inflation était respectivement de 3,4 et 6,8 %. Pourtant, nous constatons que les résultats de la question sur l'inflation n'ont pas beaucoup changé au cours de cette période. Cela s'explique peut-être par le fait que l'expérience est nouvelle pour de nombreux Canadiens en âge de travailler.

La littératie financière est-elle importante pour la retraite ?

L'enquête utilisée pour le présent document contient un résultat lié à la littératie financière : les répondants déclarent-ils avoir un plan financier pour la retraite ? Les personnes avec un plan de retraite obtiennent de meilleurs résultats dans les "trois grandes" mesures de la littératie financière - de 3 à 15 points de pourcentage, selon les questions considérées.  

Le système de revenu de retraite du Canada comporte de nombreux aspects complexes qui nécessitent des connaissances financières approfondies. Les règles d'admissibilité et de prestations du SV/SRG peuvent avoir un impact majeur sur le bien-être financier à la retraite. Cela est particulièrement vrai pour l'âge auquel les personnes demandent le SV/SRG ainsi que les prestations de la RPC/RRQ, car les règles relatives aux pénalités et aux récompenses ont une incidence sur les prestations jusqu'au décès. En outre, pour la plupart des épargnants privés, il est essentiel de comprendre comment les règles de cotisation et de retrait des régimes d'épargne à l'abri de l'impôt (tels que les CELI et les REER) interagissent avec les impôts. Cependant, ces instruments sont souvent mal compris, ce qui montre une fois de plus que la littératie financière peut être à la base d'une bonne planification de la retraite.

Les résultats de l'enquête montrent un score moyen de 39 % pour les questions relatives à la RPC/RRQ, un score moyen de 37 % pour les questions relatives aux CELI et aux REER, et un score moyen de 27 % pour la connaissance des règles du SV/SRG.  En ce qui concerne les questions sur le fonctionnement des régimes de retraite des employeurs, le score moyen n'est que de 21 %. Les scores sont plus élevés chez les personnes qui participent au type de régime correspondant.

Il est important de noter que le score relatif à la connaissance du système de retraite (parfois appelé "littératie en matière de retraite") est corrélé à la littératie financière générale : les personnes qui répondent correctement à toutes les questions de littératie financière du "Big 3" obtiennent un score plus élevé que celles qui n'y répondent pas (55 % contre 41 %). Un autre résultat montre qu'une augmentation de 10 points de pourcentage du score total de l'indice RSI (l'ensemble des 29 questions de l'indice RSI) est associée à une augmentation de 3 points de pourcentage de la probabilité d'avoir un plan financier pour la retraite. Bien sûr, il est possible que le fait d'avoir un plan de retraite entraîne une plus grande littératie financière et non l'inverse – nous ne pouvons tout simplement pas l'affirmer avec certitude avec les données disponibles. Mais en même temps, nous ne pouvons pas ignorer que la planification de la retraite et la littératie financière vont de pair, ce qui devrait contribuer à attirer l'attention des décideurs à travers le Canada.

Aller de l'avant

Notre enquête renforce l'idée que de nombreux Canadiens ne sont tout simplement pas préparés à prendre des décisions financières importantes, y compris pour leur retraite. Il n'est pas surprenant que ceux qui ont un plan de retraite soient plus instruits sur le plan financier que ceux qui n'en ont pas. Or, la littératie est certainement essentielle pour se frayer un chemin dans la myriade d'aspects du système canadien de revenu de retraite à piliers multiples. Une bonne santé financière est essentielle pour maintenir la qualité de vie d'une personne en fin de carrière. Bien que le Canada dispose, dans l'ensemble, d'un système de revenus de retraite solide, celui-ci est complexe. Il existe de nombreuses sources de revenus différentes et diverses règles qui peuvent avoir une incidence sur les prestations publiques, les impôts et les revenus privés. Bien que les résultats du Canada aux trois grandes questions ressemblent à ceux d'autres économies avancées, il se pourrait bien que, pour de nombreuses personnes, notre système de revenus de retraite exige un niveau de connaissances encore plus élevé qu'ailleurs. On pourrait certainement en dire autant de la "littératie en matière de retraite."

Étant donné que les provinces sont compétentes en matière d'éducation, elles devraient jouer un rôle majeur dans l'amélioration de la littératie financière au Canada. Les provinces canadiennes se sont régulièrement classées en tête du peloton du programme international pour le suivi des acquis des élèves, qui mesure les compétences des jeunes de 15 ans en lecture, en mathématiques et en sciences. En matière d'éducation, la fédération décentralisée du Canada a bien fonctionné à cet égard, car elle a permis aux provinces d'essayer différentes approches de l'éducation, de voir ce qui fonctionne et de partager ensuite ces enseignements. Il est essentiel d'améliorer la littératie financière au Canada, mais la littératie en matière de retraite nécessite des mesures qui dépassent le cadre du système éducatif.

Le défi de la littératie financière et de la littératie en matière de retraite est considérable. Il nécessitera des efforts considérables à tous les niveaux au Canada, notamment de la part des provinces, des employeurs et des promoteurs de régimes. Les résultats de ces efforts doivent également être mesurés afin de s'assurer que nous progressons.  

Colin Busby, directeur des politiques et de la sensibilisation à l'Institut de l'épargne-retraite de HEC Montréal. 

David Boisclair, directeur général de l'Institut de l'épargne-retraite.

Philippe d'Astous, professeur associé et directeur du Laboratoire d'éducation financière, HEC Montréal.