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La « perte silencieuse » : le Canada ne parvient pas à attirer les investissements des fonds de pension mondiaux

Par Josh Welsh, journaliste, Benefits and Pensions Monitor
novembre 20, 2025

Selon Sebastien Betermier, de l’ICPM, Ottawa risque de saper le système de retraite en imposant des allocations nationales. 


Alors que des voix s’élèvent pour demander aux géants du secteur des retraites au Canada de conserver une plus grande partie de leurs capitaux au pays, certains dirigeants du secteur se méfient du message ainsi envoyé. 

« Vous pouvez emprunter une voie, que je désapprouve. C’est la voie qui consiste à imposer ou à dicter aux fonds ce qu’ils doivent faire et à commencer à mélanger d’autres priorités avec l’objectif de la politique de sécurité des retraites. Ou alors vous empruntez l’autre voie, qui à mon avis a beaucoup plus de sens. Celle-ci consiste à créer des conditions qui stimulent naturellement les investissements des fonds de pension », déclare Sebastien Betermier. 

M. Betermier, professeur de finance à la Faculté de gestion Desautels de l’Université McGill et directeur exécutif de l’International Centre for Pension Management, ne rejette pas d’emblée l’idée de l’investissement des fonds de pension au Canada. Il met toutefois en garde contre une remise en cause des principes fondamentaux qui ont fait du système de retraite canadien l’un des plus efficaces au monde. 

Si l’importante réserve de capital détenue par les fonds de pension peut sembler tentante pour les gouvernements qui cherchent à financer des initiatives nationales, il appelle à la prudence en ce qui a trait aux visions à court terme. 

À son avis, il existe une marge de manœuvre pour « une très bonne coordination entre les fonds de pension et les gouvernements », mais uniquement si ces démarches permettent de préserver l’intégrité du système de retraite. M. Betermier ajoute qu’en contraignant les fonds à investir dans des projets à caractère politique, on risquerait de déstabiliser un système qui fonctionne précisément grâce à son indépendance.

Il représente le défi sous la forme de deux bulles qui se chevauchent : l’une représente les objectifs des gouvernements en matière de croissance économique, l’autre les obligations fiduciaires des fonds de pension. 

« Là où les bulles se chevauchent, on a, par définition, de très bons investissements pour la croissance nationale qui répondent également aux responsabilités fiduciaires des fonds », explique-t-elle.

Pour rendre ce chevauchement opérationnel, M. Betermier et un groupe de travail de l’International Centre for Pension Management ont mis au point ce qu’ils appellent la « fenêtre d’investissement ». Ce cadre définit les conditions spécifiques dans lesquelles les fonds de pension peuvent investir dans des projets nationaux tout en respectant leurs obligations légales et financières. Il s’agit notamment de rendements compétitifs ajustés au risque, de liquidités suffisantes, de projets d’envergure, d’une gouvernance solide et d’un faible risque de développement.

« Si l’on veut aligner les priorités du gouvernement sur la croissance nationale, il faut réfléchir aux conditions dans lesquelles les fonds peuvent investir », dit-il. Les gouvernements pourraient devoir réduire le risque de certains éléments du projet, assurer la clarté de la réglementation ou rationaliser les processus d’approbation afin de rendre les actifs d’infrastructure viables pour les capitaux institutionnels.

M. Betermier affirme qu’attirer les capitaux des fonds de pension ne nécessite pas toujours nécessairement des dépenses publiques directes, mais qu’il suffit souvent de créer un environnement commercial stable et durable, propice aux investissements. Si le Canadia y parvient, ce ne sont pas seulement les caisses de retraite nationales qui déploieront des capitaux, mais aussi les investisseurs internationaux.

Les capitaux internationaux n’étant pas visibles de la même manière, les pertes économiques découlant de l’incapacité à les attirer passent souvent inaperçues. « C’est un ordre de grandeur plus élevé, c’est la perte silencieuse dont personne ne parle », fait-il remarquer. 

En revanche, obliger les fonds canadiens à investir au pays par le biais de mandats peut générer des gains marginaux, mais au risque de nuire à un système qui repose sur l’autonomie et la performance. Selon M. Betermier, il est plus judicieux de mettre en place un cadre qui attire les capitaux plutôt que de les contraindre.

« D’autres pays l’ont fait, je ne vois pas pourquoi nous ne le pourrions pas », ajoute-t-il. 

Quoi qu’il en soit, M. Betermier estime que des raisons pratiques et stratégiques favorisent les investissements des fonds de pension canadiens au pays, en particulier lorsqu’il s’agit d’actifs du marché privé. Les investissements locaux offrent notamment un avantage certain en termes d’information. 

« Vous disposez de talents locaux et vous comprenez les mécanismes qui régissent la situation locale et les gouvernements. En tant qu’investisseur, vous avez une longueur d’avance, dit-il ».

Au-delà de l’avantage sur le plan des connaissances, M. Betermier souligne plusieurs avantages en matière de gestion des risques. Les actifs nationaux aident les fonds de pension à se prémunir contre l’inflation, la volatilité des taux d’intérêt et le risque de change, qui sont autant de préoccupations majeures dans la gestion des engagements à long terme. Il explique par ailleurs que « même l’immobilier local, par exemple, peut être indexé sur le même IPC, l’inflation que vous devez réellement à vos retraités ».

En dépit des discours qui laissent entendre le contraire, M. Betermier estime que les fonds de pension canadiens ont déjà un penchant naturel pour le marché intérieur, en particulier dans des domaines tels que les obligations, l’immobilier et l’infrastructure. Il fait remarquer qu’environ 70 à 80 % des obligations canadiennes et 60 % des actifs immobiliers sont investis dans le pays, ce qui est bien supérieur à ce que laissent supposer les indices de référence mondiaux. 

« Je constate que les fonds investissent davantage au Canada que ne le laisse supposer la taille de l’économie canadienne dans le monde », déclare-t-il.

M. Betermier établit cependant une distinction claire entre les entreprises qui produisent des biens et services et les institutions qui les financent. Alors que des entreprises comme Rogers et Bell stimulent directement l’activité économique, les fournisseurs de capitaux comme les banques, les assureurs et les fonds de pension opèrent à un niveau supérieur, en apportant à ces entreprises les capitaux dont elles ont besoin pour se développer. À son avis, les fonds de pension devraient être évalués par rapport à ces autres intermédiaires financiers, et non par rapport aux entreprises elles-mêmes.

Les fonds de pension se distinguent par leur taille, leur stabilité et leur orientation à long terme. Contrairement aux investissements fragmentés des REER ou aux gestionnaires d’actifs de détail qui se concentrent sur des indices de référence à court terme, les fonds de pension consolident l’épargne et opèrent sur des horizons beaucoup plus longs. 

Leur capacité à tolérer davantage de risques que les banques ou les compagnies d’assurance, qui sont souvent limitées par la réglementation et concentrées sur les titres à revenu fixe, confère aux fonds de pension un avantage unique. Comme l’explique M. Betermier, ils peuvent générer entre six et neuf pour cent par an en moyenne, ce qui leur permet de surpasser de nombreux autres investisseurs institutionnels.

Malgré leur importance (2 000 milliards de dollars rien que pour les huit principaux régimes [Maple 8] du Canada), M. Betermier estime que l’environnement d’investissement du Canada ne tire pas pleinement parti de cette ressource, les capitaux étrangers étant notablement absents des infrastructures canadiennes.

À l’inverse, les fonds canadiens sont très actifs à l’étranger. 

« Les Canadiens possèdent des tunnels à Sydney, des fermes et pratiquement tout le réseau électrique, fait remarquer M. Betermier, tout comme les investisseurs néerlandais et norvégiens, qui affluent sur le marché australien parce qu’il accueille des capitaux institutionnels ». 

Il souligne que la quasi-absence d’investisseurs étrangers au Canada est révélatrice. 

« Le simple fait que nous n’entendions pas parler des autres pays [qui investissent au Canada] me dit que quelque chose ne va pas, que nous n’avons pas réussi à mobiliser des capitaux institutionnels pour financer des projets ici au Canada. »

Josh Welsh, journaliste, Benefits and Pensions Monitor

Josh Welsh est journaliste dans le secteur de la gestion de patrimoine pour Key Media. Il est le principal journaliste de BPM et a écrit pour InvestmentNews, la publication américaine sœur de BPM. Il a étudié au Humber College, et est titulaire d’un baccalauréat en journalisme et d’un diplôme en art dramatique.

En dehors de l’écriture et des entrevues, il fréquente l’historique Arts and Letters Club of Toronto, où il assiste au tout dernier film sur le plus grand écran possible, ou poursuit son rêve de devenir acteur. Pour toute suggestion d’article ou communiquer avec lui, écrivez-lui à l’adresse [email protected].