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Cibles de décarbonisation et transition - D'abord qui, ensuite quoi ?

Par Simon Senecal, Manager, Responsible Investment, Partner, AlphaFixe Capital

État des lieux

Les gouvernements du monde entier s'engagent aujourd'hui à atteindre zéro émission nette d'ici le milieu du siècle. En effet, les risques financiers liés au climat pèsent de plus en plus sur l'économie. Cette situation exerce une pression considérable sur toutes les parties prenantes, y compris sur les régimes de retraite canadiens qui risquent de se retrouver avec des actifs échoués. Qui plus est, ces grands détenteurs d'actifs sont davantage scrutés par les bénéficiaires afin de décarboniser les investissements au sein de leurs portefeuilles. Pour faire face à cette situation, les régimes de retraite misent progressivement sur des stratégies d'investissement à faibles émissions de carbone, qu'elles soient mises en œuvre à l’interne ou via des gestionnaires externes. Quoi qu'il en soit, les investisseurs sont aujourd'hui confrontés à un véritable défi, car leur propre plan visant à atteindre zéro émission nette d'ici 2050 repose principalement sur les engagements pris par les entreprises et les gouvernements. 

Établir les cibles

Ces dernières années, de nombreuses entreprises ont pris l'engagement d’atteindre zéro émission nette d'ici 2050. Cependant, comme le mentionne le rapport de 2023 Are Companies Developing Credible Climate Transition Plans du CDP (anciennement Carbon Disclosure Project), peu d’entreprises ont mis en œuvre et rendu public un plan de transition crédible pour atteindre leur cible. En outre, bon nombre de ces engagements ne tiennent pas compte des émissions de portée 3 qui, dans certains cas, représentent la plus grande part du gâteau. La forte dépendance à l'égard de la compensation carbone et de la capture, l’utilisation et le stockage du carbone suscite également des inquiétudes, car les entreprises devraient avant tout se concentrer à réduire leurs émissions de carbone.

Selon les meilleures pratiques, les objectifs des émetteurs doivent être basés sur la science et couvrir toutes les émissions de portée 1 (combustion de carburant) et 2 (consommation d'électricité), ainsi que les émissions de portée 3 (activités en amont et en aval) si celles-ci représentent plus de 40 % des émissions totales. À ce jour, le Science Based Target initiative (SBTi) dispose des lignes directrices les plus solides afin d’établir les cibles de réduction des gaz à effet de serre des entreprises. Elle utilise des trajectoires de décarbonisation fondées sur la science et, plus important encore, tient compte de la réalité et des enjeux associés à la plupart des industries. Un nombre croissant d'entreprises utilisent la SBTi pour approuver leurs cibles de réduction. 

L'économie de demain

Selon les scénarios 1,5 degré basés sur la science, l'utilisation des combustibles fossiles devrait diminuer considérablement d'ici à 2050. De plus, le dernier rapport du Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat (GIEC) indique qu’aucune nouvelle infrastructure liée aux combustibles fossiles ne devrait voir le jour et que la décarbonisation des infrastructures existantes est également nécessaire si nous voulons limiter le réchauffement planétaire à 1,5 degré. Par conséquent, certaines entreprises doivent inévitablement commencer à changer leur modèle d’affaires s’ils désirent continuer à opérer. La première industrie qui vient en tête est celle du pétrole et gaz, puisqu’elle représente une part importante de l'économie canadienne. Cela implique également que toutes les entreprises qui utilisent des combustibles fossiles comme intrants dans leurs processus doivent innover et adopter des solutions de remplacement. En tant qu'investisseur, il est de plus en plus important de comprendre comment cette dynamique va évoluer.

Comment y parvenir?

Des milliers de milliards de dollars seront nécessaires pour décarboniser nos économies. Les investissements visant à développer de nouvelles technologies et celles existantes seront particulièrement cruciaux à court terme. Ces technologies peuvent aller du captage, utilisation et stockage du carbone à l'expansion des énergies renouvelables au sein du réseau électrique, en passant par l'amélioration de l'efficacité énergétique dans les industries à forte intensité carbone (ciment, acier, aluminium, etc.).

Ces dernières années, le marché des obligations vertes a beaucoup retenu l’attention. Ce dernier a d’ailleurs connu une croissance considérable et est aujourd'hui considéré comme mature. Cet instrument financier exige notamment que les fonds soient alloués à des investissements ou projets verts éligibles, qui peuvent être validés par des taxonomies vertes existantes, telles que la Climate Bonds Taxonomy. Plus récemment, des groupes de travail au sein du pays ont développé un cadre similaire pour aider à définir les activités de transition éligibles dans le contexte canadien. À notre avis, cette étape est cruciale pour le développement du marché des obligations de transition qui, comme les obligations vertes, reposent sur le concept de l'utilisation des fonds. Jusqu'à présent, il y a eu quelques émissions d'obligations de transition à travers le monde, mais aucune sur le marché canadien des obligations de qualité investissement.

Une étape importante a été franchie au début de l'année 2023. Le Conseil d'action en matière de finance durable a publié le « Rapport sur la feuille de route de la taxonomie - Mobiliser la finance pour une croissance durable en définissant les investissements verts et les investissements de transition ». Le cadre proposé s'abstient de prendre position sur la définition exacte d'une activité de transition, ce qui devrait toutefois être publié dans un avenir rapproché. Il fournit plutôt des conseils aux entreprises qui souhaitent émettre des obligations de transition. La première partie du cadre proposé comprend des exigences générales pour les entreprises, telles que la mise en place d'une cible zéro émission nette et d'une cible intermédiaire pour 2030, la mise en œuvre d'un plan de transition crédible et la divulgation des risques financiers liés au climat au niveau corporatif. Selon nous, ces exigences sont essentielles pour éviter l'écoblanchiment sur ce marché émergent. La deuxième partie du cadre décrit les critères potentiels permettant de différencier les projets de transition des projets verts. Il s'agit là d'un élément important, étant donné que le marché des obligations vertes a connu quelques incidents d'écoblanchiment.

Dans le contexte canadien, nous pensons que les obligations de transition sont le lien manquant pour atteindre l'objectif de zéro émission nette d'ici 2050. Tout compte fait, c'est dans le secteur de l'énergie que se trouvent les plus grandes opportunités de décarbonisation. Étant donné que les compagnies pétrolières et gazières ne peuvent pas utiliser d'obligations vertes pour financer la décarbonisation d’actifs liés aux combustibles fossiles, elles devront plutôt recourir aux obligations de transition pour y parvenir. En revanche, ces entreprises peuvent faire appel au marché des obligations vertes pour financer des projets environnementaux qui font partie de l'économie de demain. Les Canadiens dépendent toujours des activités liées aux combustibles fossiles pour une grande partie de leurs besoins et continueront à le faire dans un avenir rapproché. Il serait pratiquement impossible d'abandonner ces sources d'énergie du jour au lendemain. 

Conclusion

En résumé, nous disposons désormais d'une vision plus claire de la manière dont la transition vers l'objectif de zéro émission nette pourrait être mise en œuvre. L'existence d'un cadre spécifique aidera les entreprises à communiquer leur stratégie de transition, tandis qu'une taxonomie de transition permettra d’identifier si des activités ou des projets spécifiques relèvent de cette étiquette. Qui plus est, cette crédibilité accrue pourrait apaiser les émetteurs qui ne souhaitent pas prendre le risque de voir leur réputation entachée par le marché en émergence des obligations de transition. Du point de vue des investisseurs, cela fournira les informations nécessaires pour évaluer l'intégrité des émetteurs et de leurs projets de transition, ce qui, à son tour, pourrait encourager les investisseurs à aider ces entreprises à s'éloigner graduellement des combustibles fossiles au lieu de carrément désinvestir. En tant que Canadiens, nous devons aider toutes les parties prenantes canadiennes à transitionner vers une économie sobre en carbone. Si les entreprises fortement émettrices sont sérieuses dans leur volonté de décarboniser leurs activités, nous serons là pour les aider. 

L'équipe AlphaFixe



À propos d'AlphaFixe

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